Le Bitcoin (BTC) est-il vraiment une monnaie ?

Souvent réduit à une image d'« or numérique » ou à un actif purement spéculatif, le Bitcoin (BTC) remplit pourtant déjà plusieurs fonctions monétaires : outil d’échange, réserve de valeur et protection contre l’inflation. Mais cela suffit-il à en faire une véritable monnaie ?
30 Décembre 2025
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Marius Farashi

Souvent présenté comme de « l’or numérique » ou un simple actif spéculatif, Bitcoin (BTC) est pourtant utilisé par sa communauté comme un vrai outil d’échange, d’épargne, et de protection contre l’inflation. Mais cela en fait-il pour autant une « vraie monnaie » ?

Les critiques du Bitcoin invoquent régulièrement la loi de Gresham ou encore la lenteur des transactions Bitcoin on-chain, une question persiste : Bitcoin peut-il réellement remplir les fonctions d’une monnaie au sens classique du terme ? Voire remplacer l’euro et le dollar pour devenir une monnaie du quotidien ?

Pour y répondre, il faut d’abord comprendre ce qu’est une monnaie, puis analyser si, et comment, Bitcoin en remplit les fonctions.

Qu’est-ce qu’une monnaie, au juste ?

Avant de juger Bitcoin selon les critères monétaires traditionnels, encore faut-il s’accorder sur la définition même d’une monnaie, sans sombrer dans des considérations idéologiques ou techniques.

La définition d’Aristote : toujours d’actualité ?

Pendant l’Antiquité, Aristote définissait déjà la monnaie par 3 fonctions principales :

    - Unité de compte : elle permet d’exprimer les prix dans une échelle commune.
    - Intermédiaire d’échange : elle facilite les transactions sans troc.
    - Réserve de valeur : elle conserve du pouvoir d’achat dans le temps.

La définition de la monnaie selon Aristote est fréquemment reprise par les médias traditionnels pour expliquer ce qu’est une monnaie, et parfois même pour soutenir que le Bitcoin n’y correspond pas, en raison de sa forte volatilité.

Mais ceux qui utilisent cet argument oublient, voire ignorent, qu’Aristote dénonçait également les risques d'ingérence du gouvernement qui frappait la monnaie.

À l’époque d’Aristote, la monnaie se matérialisait principalement sous forme de pièces en métaux (or, argent, cuivre), bien éloignées des monnaies fiduciaires largement répandues aujourd’hui. Il est donc difficile, voire impossible, de savoir s’il aurait approuvé des monnaies reposant uniquement sur la confiance accordée aux banques centrales qui les émettent.

Les 3 fonctions de la monnaie, telles que définies par Aristote, peuvent être remplies de manière variable selon les monnaies, les époques et les contextes géopolitiques.

La fonction de réserve de valeur, par exemple, est complètement subjective et dépend fortement de l’horizon temporel retenu. Le prix du Bitcoin (BTC) a certes chuté de 76 % entre novembre 2021 et novembre 2022, mais il affiche une hausse de plus de 1 000 % depuis 2020.

À l’inverse, l’euro subit une inflation continue : -2 % en 2025, -10 % en 2022, -20 % depuis 2020, et près de -50 % depuis l’an 2000 (données basées sur l’indice des prix à la consommation en zone euro).

Dépréciation des monnaies depuis 2000

Pouvoir d’achat de 100 € et 100 $ mesuré par rapport à l’année de référence 2000

Source : Données de l’IPC en glissement annuel. Base 100 en l’an 2000.

En réalité, la monnaie a pris de nombreuses formes au fil du temps : sel, pierres taillées, coquillages, métaux précieux, étalon-or, etc. Autrement dit, la monnaie n’est rien d’autre qu’un instrument accepté par une communauté. Il suffit qu’un groupe de personnes s’accorde à l’utiliser pour que cet instrument acquiert une fonction monétaire.

Un euro, une vache, un gramme de sel, une once d’or ou un satoshi peuvent tous faire office de monnaie, dès lors qu’une communauté les adopte pour mesurer, échanger ou stocker de la valeur.

Mais lorsqu’on se demande si le Bitcoin est une monnaie, la véritable question n’est pas de savoir s’il peut en devenir une, car il l’est déjà dans certains contextes, mais plutôt s’il peut devenir une bonne monnaie, suffisamment robuste et pertinente pour remplacer nos monnaies fiduciaires.

La loi de Gresham : une objection souvent mal comprise

La loi de Gresham stipule que : « La mauvaise monnaie chasse la bonne. »

Autrement dit, si 2 monnaies sont imposées à parité (ex. : 2 pièces d’égale valeur, mais de qualité différente), les gens vont garder la « bonne » et dépenser la « mauvaise ».

Cette loi fonctionne uniquement dans un contexte de contrainte légale où les acteurs économiques sont contraints de l’accepter, soit par les entreprises en échange de leurs services et produits, soit par les travailleurs pour leur salaire.

Si ces derniers avaient le choix de la monnaie à accepter, garderaient-ils la mauvaise monnaie par idéologie de la loi de Gresham ? Où feraient leur possible pour être rémunéré dans la monnaie forte pour être le moins exposé à la mauvaise ?

C’est exactement ce que la loi Thiers défend : lorsqu’ils en ont la liberté, les individus adoptent une bonne monnaie (rare, stable, fiable) et abandonnent la mauvaise. Quand la monnaie locale s’effondre, les citoyens se tournent spontanément vers une monnaie plus saine, même si cela va à l’encontre des lois sur le cours légal.

Pourquoi utilise-t-on l’€uro ?

Parce que la loi l’impose.

     - Les salaires doivent être versés en euros.
     - Les impôts doivent être payés en euros.

Ce monopole monétaire maintenu par l’État explique en grande partie pourquoi les gens utilisent une monnaie, même quand elle est largement reconnue pour être la « mauvaise » monnaie.

Bitcoin, à l’inverse, n’a pas ce privilège.
Sa légitimité repose uniquement sur le choix individuel et non forcé.

Et pourtant, son usage se répand de plus en plus vite. Même là où la loi de Gresham devrait, en théorie, s’appliquer.

Le Bitcoin coche-t-il les cases d’une bonne monnaie ?

La blockchain Bitcoin est volontairement lente (1 bloc toutes les 10 minutes en moyenne) pour garantir sa sécurité et sa décentralisation. Ce design peut sembler inefficace pour des paiements du quotidien, mais il est nécessaire pour que le BTC perdure et protège sa valeur au cours du temps contre les attaques qu’il subit.

Intermédiaire d’échange : Prendre de la hauteur pour aller plus vite.

Mais en 2018, l’apparition de Lightning Network, une surcouche de paiements instantanée, a changé la donne.

Aujourd’hui, via le réseau Lightning :

    - on peut payer un café en moins d’une seconde,
    - avec des frais quasi nuls,
    - de manière totalement pair-à-pair.

Des milliers d'utilisateurs l’utilisent déjà dans des applications, des jeux, ou pour soutenir des créateurs. Le Bitcoin circule. Il peut être utilisé.

Le Lightning Network hérite cependant de plusieurs caractéristiques rendant son adoption complexe. Mais les récentes avancées technologiques, améliorant le réseau lui-même ou en l’étendant à d’autres protocoles comme Ark, Spark et Liquid, permettent d’invisibiliser ces complexités et facilitent son adoption pour le grand public.

Réserve de valeur : un rôle en expansion

Dans les pays où l’inflation dépasse 50 %, Bitcoin est parfois le seul moyen d’épargner en dehors de la monnaie nationale.

    - En Argentine, de nombreux épargnants se tournent vers Bitcoin pour éviter l’inflation du peso.
    - Au Nigeria, malgré l’eNaira imposée par l’État, c’est Bitcoin (et les stablecoins) qui servent de refuge.
    - Au Liban ou au Venezuela, Bitcoin est devenu une assurance individuelle contre l'effondrement bancaire.

Même dans les pays aux monnaies « stables », de plus en plus d’individus utilisent Bitcoin comme réserve de valeur à long terme, souvent pour sa rareté programmée (21 millions d’unités, pas une de plus), mais aussi pour les gains de souveraineté qu’il offre : avec Bitcoin vous n’avez plus besoin de dépendre d’une banque.

Unité de compte : encore marginale, mais émergente

Peu de biens sont aujourd’hui affichés en BTC notamment à cause de sa volatilité. Cependant, rien ne dit que le BTC ou le satoshi ne puisse pas devenir une unité de compte à l’avenir. Il lui faudra néanmoins d’abord réduire la volatilité de son prix.

Mais certains commerçants, en ligne ou dans des pays comme le Salvador, commencent à exprimer les prix en satoshis (la plus petite unité du Bitcoin, soit 1/100 millionième de BTC).

C’est encore minoritaire, mais les bases monétaires sont posées.

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